Je me souviens que le soir en hiver, avant d'aller dormir, j'allais dans l'étable voler au bétail une brassée de foin sec.
Au réveil, j'en bourrrais mes sabots de bois avant de sortir affronter les chemins enneigés.
Il fallait d'habitude une petite heure de marche pour aller à l'école, mais avec de la neige fraîche et le jour pas encore levé, le temps du trajet s'allongeait d'autant.
Je n'avais pas froid en marchant, cela viendrait après, mais ce qui était désagréable, c'étaient les coups répétés de la bûche que j'emportais au bout d'une ficelle par dessus mon épaule, pour alimenter le poêle de la salle de classe.
Le morceau de bois cognait régulièrement mes flancs et y laissait des bleus qui perduraient une bonne partie de l'hiver.
Une fois arrivés, on se retrouvait en bande à enlever nos écharpes en laine et nos pélerines, en pataugeant dans la flaque que faisait en fondant les flocons qui tombaient de nos vêtements.
Il faisait froid dans la salle de classe et le poêle était presque éteint. A tour de rôle nous étions de corvée pour ranimer le feu et charger le fourneau avec l'un des morceaux de bois que nous avions apportés.
Par grand froid, les vitres des fenêtres étaient recouvertes de grandes fleurs de gîvre, que nous regardions sans joie en grelottant.
La pièce était chichement éclairée par une lumière qui pendait misérablement du plafond et l'on discernait mal les tableaux, à l'autre bout de la pièce. L'un représentait le corps humain et l'autre l' Empire français et ses colonies.
Une fois installé à sa place, il fallait parfois casser la pellicule de glace qui s'était formée sur l'encre violette, en prenant garde à ne pas briser les encriers en porcelaine blanche encastrés dans le pupître.
Ensuite le temps passait lentement à attendre, transis, la récréation qui nous permettrait de nous réchauffer un peu dans une bataille de boules de neige ou en se serrant autour du poêle.
La journée finie nous reprenions pour rentrer le chemin qui traversait parfois des petits bois aux ombres inquiétantes que nous franchissions en chantant ou en parlant fort.
Nous savions qu'il n'y avait plus de loups, mais tout de même....
Euh....
Est-ce que je me souviens VRAIMENT de ça ???
