Je me souviens du porte-plume de ma grand-mére
Il était en ivoire travaillé et offrait en son milieu une minuscule bille en verre qui faisait office de loupe. En approchant l' oeil au plus près, et en fermant l'autre pour mieux voir, on pouvait contempler, avec un peu de chance, une vue couleur sépia du Rocher de la Vierge à Biarritz.
Je ne sais comment ce porte-plume avait abouti là.
D'autant que ma grand-mère était loin d'être une lettrée : elle n'avait pas le certificat d'études.
Elle essayait de compenser ce manque par l'usage d'un dictionnaire Larousse pour débutant qui avait tellement servi que pratiquement toutes les pages s'étaient détachées de la reliure.
Tous les jours, elle apprenait un mot.
Parfois, elle tirait d'un tiroir du buffet de cuisine le fameux ustensile doté d'une plume parisienne et un encrier d'encre violette, et elle recopiait dix fois, vingt fois... jusqu'à le maîtriser, un mot difficile.
C'était de la même écriture appliquée que nous recevions de temps en temps de ses nouvelles, toujours pareilles : " Mes chers enfants, j'espère que vous allez bien. Moi ça va bien. je m'occupe toujours bien de ma besogne . Je suis allé au marché et j'ai acheté un petit cochon pour l'engraisser avant le Nouvel An. ..."
