PAUVRES BRITANNIQUES…
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A en croire les médias français, les Anglais sont bien à plaindre. Ce serait vrai en politique étrangère : Tony BLAIR est présenté comme un irresponsable à la remorque de George W. BUSH, comme si le Royaume-Uni était le 51éme état américain. Mais ce serait vrai aussi en matière économique : n’y a-t-il pas « 17 millions d’Anglais en dessous du seuil de pauvreté » (Jacques Delors), et ceux qui réussissent dans les affaires ne sont-ils pas abrutis de travail, obsédés de performance ? On en vient à se demander pourquoi tant d’émigrés, parmi lesquels tant de jeunes Français, ont la sottise d’aller s’embaucher Outre-Manche : pour mieux s’y faire exploiter ?
3,1% de chômeurs
Pourtant, on ne saurait nier que les Anglais ont réussi au moins dans un domaine, celui de l’emploi. Les dernières statistiques sont claires : selon le mode de calcul britannique, le taux de chômage vient encore de chuter pour s’établir à 3,1% de la population active. Selon les taux de chômage standardisés publiés par l’OCDE, le résultat est un peu moins favorable : 5,0 %. Ce chiffre mérite d’être comparé à celui de la moyenne de l’OCDE (7,1%), à celui de l’Europe des 15 (7,8%) ou de la zone euro (8,5%). Il est beaucoup plus favorable que celui de la France (9,1%) ou de l’Allemagne (11% selon les statistiques nationales, 9% selon les statistiques standardisées). En outre, ce taux de chômage anglais ne cesse de se réduire depuis des mois, alors que dans les autres pays, comme la France, il progresse, en lien avec le ralentissement économique général : celui-ci ne semble pas affecter le nombre de chômeurs anglais.
Il y a désormais moins d’un million de chômeurs en Angleterre (928 000 personnes inscrites au chômage), chiffre le plus bas depuis les années 70. Il a été créé 253 000 postes de travail et cela avec un taux d’activité (pourcentage de gens qui ont une activité économique, chômeurs compris) en progression, passant de 74,3% en 2001 à 74,6% en 2002. Le contraste est saisissant avec la France, où l’on diminue le nombre des actifs pour éviter le chômage, notamment avec les retraites anticipées. En Angleterre on encourage les gens à travailler, en France on les en dissuade. On ne connaît en Angleterre ni le traitement statistique, ni le traitement social du chômage : on favorise la création d’emplois, c’est tout.
Une croissance sans inflation
Ces bons résultats en matière d’emplois ne seraient-ils pas obtenus au détriment de la stabilité monétaire ? L’Angleterre, en ne voulant pas entrer dans la zone euro, a-t-elle choisi la voie de la facilité monétaire et de la relance par la création de monnaie ? Il semble bien que non. La Banque d’Angleterre a beaucoup moins manipulé le taux d’intérêt que la Réserve fédérale aux Etats-Unis et le taux d’intérêt était resté, avant la dernière évolution, stable à 4% pendant quinze mois. Certes, les prix ont progressé un peu plus vite que l’objectif que s’était assigné la banque centrale (2,5%), en augmentant sur douze mois de 2,7%. Mais on doit inclure dans ce dernier résultat l’effet purement mécanique de la hausse des cours du pétrole en décembre. Donc l’inflation est manifestement sous contrôle. D’ailleurs la Banque d’Angleterre envisage un recul sensible de l’inflation dans les mois à venir, en particulier parce que les prix de l’immobilier qui avaient beaucoup monté devraient se stabiliser.
Comment se situe alors la croissance anglaise ? Ici, il est clair que le ralentissement de l’économie se fait sentir, comme partout, tant les économies sont liées les unes aux autres. Mais la croissance du PIB a été de 1,7% en 2002, ce qui est plus qu’en France (1,2% selon les derniers résultats) et surtout qu’en Allemagne (0,4%). Il n’y a guère que les Etats-Unis qui fassent mieux en 2002 avec 2,4%. Mais, là encore, les prévisions pour 2003 sont plus optimistes. L’Angleterre annonce 2,8% de croissance du PIB, alors qu’en France on vient de renoncer à la fiction des 2,5% et on aura entre 1,5 et 2%, tandis qu’on annonce au mieux 1% pour l’Allemagne.
Un choix libéral
Faut-il s’étonner de ces résultats ? Tony BLAIR est certes social-démocrate et sa politique n’est pas totalement libérale. Mais il a eu la sagesse de retenir les leçons de l’histoire économique anglaise : il sait que des années de gestion travaillistes dans une optique socialiste avaient conduit le pays à un véritable sous-développement alors que les mesures de choc de Madame THATCHER ont provoqué une véritable résurrection de l’Angleterre.
C’est en particulier le cas en matière fiscale. Il faut rappeler que lorsque Madame THATCHER a pris le pouvoir, le taux marginal d’impôt sur le revenu était de 80% pour les salaires et de 98% pour les revenus de l’épargne. Elle a ramené ces taux à 40% et Tony BLAIR s’est bien gardé de les modifier. Rappelons que la France en est encore à 50% de taux marginal et même à 60% en comptant la CSG et rappelons aussi que l’Angleterre ne connaît pas d’impôt sur les grandes fortunes. En outre, cette baisse des prélèvements obligatoires n’a pas mis en difficulté les finances publiques anglaises. Même dans la période de ralentissement économique actuel, le déficit public ne dépasse pas 1,4% du PIB, contre plus de 3% en France ou en Allemagne. Voilà qui devrait faire réfléchir les experts de Bercy et les autres, qui estiment que la baisse des impôts fait courir un risque de déficits budgétaires accrus.
Mais c’est surtout sur le marché du travail que les mesures de Madame THATCHER ont porté leurs fruits. Elle a rendu une grande flexibilité à l’emploi, supprimant les privilèges syndicaux, supprimant le salaire minimum (que les travaillistes ont rétabli mais à un niveau très bas) et surtout réduisant les charges sociales. Lorsqu'un Britannique est payé l’équivalent de 1000 euros, il revient à son employeur environ 1200 euros. Dans le même temps, un salarié qui gagnerait net 1000 euros en France coûterait environ 1800 euros à son employeur : cela fait toute la différence. Enfin les Anglais ne connaissent pas les 35 heures, et semblent aimer travailler…
Dans bien d’autres domaines on retrouve ce désir de désengager l’Etat et de tabler sur l’initiative privée, le travail et l’épargne volontaires. Les Anglais ont par exemple privatisé toutes les entreprises publiques. Ils ont accepté la capitalisation, qui couvre plus de la moitié des retraités.
Certes, l’Angleterre garde encore les stigmates d’un demi-siècle de socialisme, et il reste encore beaucoup à faire, en particulier en matière de santé publique. Mais si l’économie anglaise est en bonne santé, c’est qu‘elle a été rendue il y a 25 ans à la logique de la propriété privée, de la libre entreprise et du libre échange.
Victimes du néo-libéralisme, les Britanniques sont bien à plaindre !
Point final.:^O